Article paru sur Médiapart le 24 novembre 2012.
A la veille de la Journée contre les violences faites aux femmes, dimanche 25 novembre, les vingt-cinq signataires de ce texte mettent en garde contre les choix du gouvernement et du Collectif national droit des femmes. « La pénalisation aboutirait simplement à faire disparaître la prostitution de l’espace public et à rendre encore plus défavorables la conditions des prostitué-e-s », affirment Véronique Dubarry, Eric Fassin, Stéphane Lavignotte, Janine Mossuz-Lavau ou encore Eleni Varikas.
Prétendre s’intéresser au sort des prostitué-e-s en criminalisant leur activité, telle semble être la nouvelle politique de la gauche en matière de prostitution. En décembre 2011, Danielle Bousquet, socialiste et Guy Goeffroy, UMP avaient ensemble déposé une proposition de loi exposant celui qui recourt aux services d’une prostituée à une peine de deux mois de prison et de 3 750 euros d’amende. En juin dernier, Najat Vallaud Belkacem, ministre des droits des femmes, a affirmé son intention de voir disparaître la prostitution et proposé pour cela la pénalisation des clients. Enfin, pour répondre à une promesse de campagne de François Hollande d’abroger le délit de racolage passif, mis en place par Nicolas Sarkozy en 2003 en tant que ministre de l’intérieur dans le cadre de la Loi sur la sécurité intérieure (LSI), une loi proposée par EELV devait être discutée au Sénat le 21 novembre prochain. Mais elle est finalement retirée car la ministre veut plus de temps pour repenser plus globalement la question de la prostitution. A présent, elle « étudie » le modèle suédois de lutte contre la prostitution qui est passé, en pénalisant les clients, du modèle abolitionniste au modèle prohibitionniste selon Don Kulick, ce qui a conduit à l’aggravation de la situation des prostitué-e-s (1).
Dans le même temps, après le verdict de Créteil qui a une nouvelle fois révélé la clémence particulière de la justice vis-à-vis des auteurs de viol, la manifestation du 25 novembre contre les violences faites aux femmes prend cette année un sens particulier qui exigerait la mobilisation unie de toutes les féministes. Or, le Collectif national droit des femmes (CNDF), en faisant de la pénalisation des clients une des revendications de son appel, divise les féministes et exclut de fait les prostitué-e-s et leurs organisations de cette échéance, alors même qu’elles sont particulièrement soumises aux violences de la police ou des clients.
A la différence de la LSI, pénaliser les clients fait des prostituées non plus des coupables mais des victimes selon la logique suivante : si les clients risquent des peines, la demande se réduira et la prostitution finira par disparaître. Cela n’est pas vérifié dans les pays où cette politique a été mise en œuvre : la prostitution s’invisibilise mais ne cesse pas. Elle s’appuie d’autre part sur une représentation stéréotypée qui fait de tous les clients des pervers violents qui réduisent les femmes à des marchandises. Mais cette représentation univoque ne permet pas aux prostitué-e-s de faire entendre leur voix lorsqu’elles veulent être défendues contre les clients violents. Enfin, rien n’est prévu en terme de moyen pour la réorientation des prostitué-e-s qui le souhaiteraient, que ce soit l’octroi de titres de séjour avec autorisation de travail pour celles qui sont sans-papiers ou encore la facilitation du changement d’état civil pour celles qui sont trans, par exemple.
La pénalisation des clients s’inscrit en réalité dans la lignée de la LSI, dont elle n’est que le double inversé. Le délit de racolage est une loi sécuritaire qui n’a pas rempli ses objectifs en matière de lutte contre les réseaux et a eu pour principal effet d’aggraver la situation de précarité et de stigmatisation des prostitué-e-s, en les exposant particulièrement aux violences policières. Mais, de la même manière, pénaliser les clients revient à criminaliser les prostituées d’autant plus que la LSI est en vigueur. Sans véritable impact sur les clients, qui ne sont d’ailleurs que très rarement sanctionnés par la législation déjà en vigueur concernant les mineurs, la pénalisation aboutirait simplement à faire disparaître la prostitution de l’espace
public et à rendre encore plus défavorables la conditions des prostitué-e-s. Contraintes d’exercer dans des lieux clandestins, les prostitué-e-s auraient encore moins accès aux services de santé publique et de travail social, et seraient davantage exposées aux agressions. Les effets en seraient désastreux pour leur santé, leur intégrité physique et leur liberté.
La droite sarkozyste nous avait habituées à la criminalisation de la pauvreté. Rien ne change, c’est la même ambition de régler les problèmes sociaux par une démarche sécuritaire. Fondamentalement, ce qui guide cette démarche, c’est« avant tout de faire disparaître des paysages urbains une activité qui heurte la sensibilité de riverains qui sont aussi des électeurs » (Contretemps du 17 avril 2011). C’est pourquoi, quelle que soit notre position sur la prostitution, nous refusons la pénalisation des clients.
Signataires :
- Célia Baudu, transsexuelle, militante du front de gauche et militante
- associative LGBTI
- Margot Beal, militante au NPA
- Solène Brun, militante au NPA
- Isabelle Clair, chercheuse
- Lucie Définod, militante féministe
- Virginie Descoutures, chercheuse
- Véronique Dubarry, adjointe (EELV) au maire de Paris
- Héloise Duché, militante du Front de gauche
- Corine Faugeron, adjointe (EELV) au maire du IVe arrondissement de Paris
- Eric Fassin, chercheur
- Capucine Larzillière, militante du Front de gauche – Gauche anticapitaliste
- Stéphane Lavignotte, pasteur, Mouvement du christianisme social
- Anne-Charlotte Lhopital, membre du CA du Planning familial du Rhône (PF69)
- Philippe Mangeot, revue Vacarme
- Elsa Manghi, syndicaliste
- Janine Mossuz-Lavau, chercheuse
- Séverine Oriol, salariée/militante du PF69
- Céline Pétrovic, déléguée thématique Genre, orientation sexuelle et
- société d’EELV
- Lisbeth Sal, militante du Front de gauche – Gauche anticapitaliste
- Sylvie Tissot, chercheuse
- Sarah Trichet-Allaire, responsable de la commission féminisme d’EELV
- Lucia Valdivia, militante au Planning Familial-69
- Eleni Varikas, chercheuse
- Anne Verjus, chercheuse
- Pierre Zaoui, revue Vacarme
(1) Lilian Mathieu, Répression ou éducation ? Les paradoxes de la pénalisation des clients de la prostitution. Raisons présentes, 2012.